Le fondamentalisme n'est pas toujours là où on croit

Publié le par Le chafouin

Je rigole, je rigole. Pendant que certains trouvent absolument scandaleux que Nicolas Sarkozy parle de Dieu, que ce soit au Latran ou à Riyad, d'autres veulent ériger des statues de Lénine dans l'indifférence générale

Pendant que certains nous bassinent avec le caractère prétendument conservateur de Benoît XVI, qu'on ne cesse de tenter d'opposer à Jean-Paul II, d'autres ferment au nez du pape les portes de la Sorbonne romaine. Il y a de quoi, vraiment, s'interroger sur le fondamentalisme anticlérical.

Le pape a ainsi pris la décision, hier, d'annuler une visite qui n'aurait probablement pas pu se dérouler dans la sérénité. 67 professeurs (seulement) avaient ainsi écrit au recteur (qui avait invité le pape) pour lui demander de décommander la cérémonie. Et des étudiants avaient promis de venir troubler le discours.

Et le discours, justement, de quoi parlait-il? Les opposants s'en moquent. Ils parlent d'ingérences du pape dans la vie politique italienne. Ils évoquent Galilée, expliquent que Benoît XVI a estimé que son procès avait été "raisonnable et juste" lors d'une précédente visite à la Sapienza en tant que cardinal, en 1990. Zénit rapporte que cette polémique est justement fondée sur une interprétation erronée du discours de 1990, dans lequel Ratzinger avait défendu l'astronome et physicien... Il est tellement facile de déformer.

Où est la tolérance, où est l'intolérance, désormais? Comment peut-on prôner la liberté et la refuser aux autres? On peut très clairement faire le rapprochement entre cet épisode et la provocation honteuse de Frêche. Parce que Lénine comme Robespierre, influencés là-dessus par ce brave Jean-Jacques Rousseaux clamaient le tristement célèbre : "Pas de liberté pour les ennemis de la liberté".

Au fond, les anticléricaux, comme leurs amis laïcistes (je souligne le "iste"), que veulent-ils? Clouer le bec aux religions parce qu'elles les gênent. Renvoyer les questions religieuses à la sphère privée. Cloîtrer le pape au Vatican, pour qu'il ne s'adresse pas au monde.

Face à cette intolérance, face à cet autisme, les positions de Nicolas Sarkozy tranchent. Son interprétation d'une laïcité positive fait des remous, justement parce qu'on parle toujours des religions comme des menaces pour la Raison. Il serait grand temps de grandir et de sortir de cet anticléricalisme ridicule et archaïque qui tente de nous faire croire que les religions sont obscurantistes.

EDIT : la condamnation de cet incident par la presse italienne est unanime. Y compris celle de gauche. Il est intéressant d'en relever ceci, chipé sur le site de La Croix :

Avec l'annulation de la visite du pape, "c'est une caricature de la laïcité qui a gagné, une laïcité radicalisante, toujours prête à être anticléricale, qui veut uniquement écouter ses propres raisons", écrit le Corriere, quotidien au plus grand tirage en Italie, parlant de "défaite pour le pays".


Il est bon d'en tirer des leçons quant à notre propre vision de la laïcité. Cet épisode a d'ailleurs fait plus de publicité au Vatican qu'autre chose : à lire, le discours que Benoît XVI devait prononcer (il a été lu et applaudi à la Sapienza, en son absence), et qui contient des extraits savoureux sur ce plan là. Ils montrent que définitivement, un tel esprit ne peut être exclu du champ public.

"Ici, cependant, émerge immédiatement l’objection selon laquelle le pape, en fait, ne parlerait pas vraiment sur la base de la raison éthique mais tirerait ses jugements de la foi et ne pourrait donc leur donner une valeur pour ceux qui ne partagent pas cette foi. Nous devrons encore revenir sur ce débat, parce qu’il pose la question absolument fondamentale : qu’est-ce que la raison ? Comment une affirmation – surtout s’il s’agit d’une norme morale – peut-elle se démontrer rationnelle ? Pour l’instant, je voudrais seulement relever brièvement que John Rawls (...) voit un critère de cette rationalité entre autres dans le fait que de telles doctrines sont issues d’une tradition responsable et motivée, au sein de laquelle ont été développées de très longue date des argumentations suffisamment bonnes pour soutenir la doctrine en question. Dans cette affirmation, ce qui me semble important est la reconnaissance que l’expérience et la démonstration à travers les générations, le fonds historique de la sagesse humaine, sont aussi un signe de rationalité et de signification pérenne. Face à une raison anhistorique qui cherche à s’auto-construire seulement dans une rationalité anhistorique, la sagesse de l’humanité comme telle – la sagesse des grandes traditions religieuses – doit être reconnue comme une réalité que l’on ne peut pas impunément jeter dans la poubelle de l’histoire des idées.(...)

C’est toute la question de la recherche d’une justice normative qui puisse conduire à un ordre de liberté, de dignité humaine et des droits de l’homme. C’est la question dont s’occupent aujourd’hui les processus démocratiques de formation de l’opinion, et qui préoccupe en même temps comme questionnement pour l’avenir de l’humanité. Jürgen Habermas exprime un vaste consensus de la pensée actuelle lorsqu’il dit que la légitimité d’une charte constitutionnelle, qui est le présupposé de la légalité, provient de deux sources : de la participation égale de tous les citoyens, et aussi d’une “forme raisonnable” dans laquelle sont résolues les contradictions politiques.

Jurgen Habermas note que celle-ci ne peut pas seulement être le résultat d’une majorité arithmétique, mais doit se caractériser comme « un processus d’argumentation sensible à la vérité ». C’est bien dit, mais c’est très difficile à transformer en pratique politique. Les représentants de ce « processus d’argumentation » public sont, nous le savons bien, avant tout les partis, comme responsables de la formation de la volonté politique. Donc, ils auront immanquablement comme objectif de parvenir à la majorité, et s’occuperont inévitablement des intérêts qu’ils ont promis de satisfaire. Cependant, ces intérêts sont souvent des intérêts particuliers et ne sont pas vraiment pas au service de tous. (...)

 

La sensibilité pour la vérité sera toujours écrasée par la sensibilité aux intérêts particuliers. Je trouve significatif que Habermas parle de la sensibilité pour la vérité comme d’un élément nécessaire dans le processus d’argumentation politique, réinsérant ainsi le concept de vérité dans le débat philosophique et dans le débat politique.

 

Mais vient alors, inévitable, la question de Pilate : Qu’est ce que la vérité ? Et comment la reconnaître ?(...) Qu’est-ce qui est raisonnable ? Dans chaque cas, on s’aperçoit de manière évidente que, dans la recherche du droit de la liberté, de la vérité de la juste vie en commun, il faut écouter des instances autres que les partis et les groupes d’intérêts, sans du tout vouloir minimiser leur importance. (...)


Le péril dans le monde occidental – pour ne parler que de celui-ci – est aujourd’hui que l’homme, considérant la grandeur de son savoir et de son pouvoir, laisse tomber la question de la vérité. Et cela signifie, dans le même temps, que la raison se plie, pour finir, aux pressions des intérêts et à l’attraction de l’utilité, contrainte de la reconnaître comme le critère ultime. (...) La raison perd le courage pour la vérité et ne grandit plus, devenant ainsi plus petite. Appliqué à notre culture européenne, cela signifie ceci : si elle ne veut s’autoconstruire que sur la base du cercle de ses propres argumentations, et sur ce qui la convainc sur le moment, si préoccupée de sa laïcité, elle se coupe des racines qui la font vivre. Non seulement elle ne gagne pas en rationalité et en pureté, mais elle se décompose et se brise. (...)

Le pape "ne doit sûrement pas chercher à imposer aux autres la foi sur un mode autoritaire, elle qui ne peut être seulement donnée en liberté", mais "il est de sa mission de maintenir éveillée la sensibilité pour la vérité, d'inviter toujours à la raison à semettre à la recherche du vrai, du bien, de Dieu."

Publié dans Religion

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L
@VerpinL'IRA n'a jamais été une organisaiton politique, et la croisade contre les Albigeois avait surotut pour but de se débarraser d'un noeud de discorde au sud de la Frace, qui servait d'alibi aux nobles de la région pour se révolter.Pour moi, la loi de 1905n'a pas été faite pour règler un conflit "entre l'Eglise et ses opposants", mais plutôt pour se débarraser de l'Eglise. Mais bon, passons, aujourd'hui elle me convient très bien.EN revanche, l'exclusion de la religion du champ public n'est pas forcément la panacée. Elles n'ont pas que des choses idiotes à dire, vous savez! Sarkozy ne fait que le constater, même s'il ferait mieux d'éviter de donner des leçons de morale à tout le monde. Et je suis d'accord avec vous pour dire que Ryad n'était pas le meilleur endroit pour parler de Dieu.
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V
Je crois qu'il est bon de rappeler le pourquoi du principe de laïcité. Du Moyen-Orient à l'Irlande du Nord en passant par l'Afghanistan ou le Sri Lanka, lorsque politique et religion se mèlent, cela mène souvent au pire. La France n'a pas échappé à cela. De la croisade des albigeois aux dragonnades en passant par les répressions contre les prêtres réfractaires sous la révolution, nous avons connu notre lot de sang. Ce qu'a permis la laïcité, c'est la fin d'une guerre de plusieurs siècles entre l'église catholique et ses opposants. En voulant donner un rôle politique aux religions Sarkozy veut rouvrir la boîte de Pandore. C'est irresponsable.Quant au fait de faire l'éloge de l'Islam wahhabite, je confirme, c'est scandaleux.
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L
@alsPardon mais les laïcistes, dans mon esprit, ne sont pa les partisans de la laïcité, mais les ayatollahs d'une laïcité négative contre laquell es'élève jusement Sarkozy. Et pour moi, ceux qui veulent mettre Dieu en-dehors de tout champ public sont avant tout des anticléricaux. C'est l'idée de Dieu et du clergé qui leur hérisse le poil.Pour moi, les réactions aux discours de Sarkozy sont du même tonneau que celle des profs italiens protestant contre la venue du pape dans une université : il y a de l'excessif, du disproportionné là dedans.Bien sûr, je ne parle pas que de cela, j'en profite pour généraliser, je suis content que vous l'ayiez aperçu! Et pour moi, les opposants à l'église sont un peu archaïques. Comme le disait Koz sur son blog, et je suis assez d'accord avec ça, ils croient que l'Eglise est la même qu'en 1905. Ce n'est pas le cas.L'Eglise n'a pas à convaincre : elle a à s'exprimer et il serait bon qu'on lui laisse cette liberté. Voilà tout ce que je veux dire. Pour moi, le laïcisme lui ôte cette liberté. Lui demande de se taire. Je ne suis pas d'accord...Sinon, merci pour vos compliments. Tout cela pour dire que je sui sloin d'être de mon côté un ayatollah. J'ai juste tendance à m'énerver quand je suis face à des intolérants qui se drapent de la vertu de la laïcité pour museler les autres...
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A
@Chaffouin Le ton d'une réthorique fait réagir n'est-ce pas?"Il y a de quoi, vraiment, s'interroger sur le fondamentalisme anticlérical." Quel rapport avec Sarkozy qui parle de _Dieu_?Les "laïcistes" et les anti-cléricaux ne sont pas forcément les mêmes personnes, parce que ce sont deux concepts différents, et vous les mélangez. Dans mon commentaire (peu clair), je m'adressais simplement à votre réthorique. L'Eglise a *beaucoup* à convaincre avant de pouvoir s'indigner, c'est ce que je voulais signifier. Le ton hautain et le jugement d'intentions sur ton d'autorité sont peu adéquats:" Au fond, les anticléricaux, comme leurs amis laïcistes (je souligne le "iste"), que veulent-ils? Clouer le bec aux religions parce qu'elles les gênent. Renvoyer les questions religieuses à la sphère privée. Cloîtrer le pape au Vatican, pour qu'il ne s'adresse pas au monde."Qu'on soit d'accord, vous ne parlez pas *que* de l'anecdote de Benoît XVI dans votre billet?En soulevant maladroitement ces tristesses dans mon commentaire, je voulais juste dire que vous vous y prenez mal pour combattre l'anti-cléricalisme. Vouloir qu'on respecte les croyances c'est une chose, vouloir que l'autorité d'une institution soit acceptée c'en est une autre. C'est d'ailleurs bien prétentieux de croire que toute la réflexion vise le Pape et qu'elle ne peut pas cibler le Pape par moments. Et vous tirez des bien rapides et convénientes conclusions.Autant pour moi! De toute façon, je suis d'accord. Je veux entendre le vieil homme s'exprimer, je veux que tout le monde vive sa religion ou spiritualité et je veux que tous puissions être nous-mêmes le plus possible, en public comme en privé. Salut et félicitations, il est intéressant votre blog.
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L
@KozC'est vrai que si on doti rentrer dans ce petit jeu, il va falloir qu'als parle de faits, les expose, les mette en balance et sache convaicnre. Parce que si je suis tout prête, comme toi, à reconnaître que l'Eglise a des choses à se reprocher (d'ailleurs, elle n'arrête pas de s'en repentir publiquement), il faut veiller à bne pas trop charger la mule. On parle souvent de l'inquisition, effectivement, sans meme savoir ce que c'était. Sans avoir que c'était une juridiction "réservée" aux chrétiens, et qui jugeait leurs "errements". Ceci signifie par exemple qu'elle ne s'adressait pas aux juifs, comme certains le prétendent.On parle des croisades aussi. C'est beau. De Galilée, c'est beau aussi. Je ne sais pas si son procès a été juste et équitable, ça m'étonnerait, mais lui-même fut d'une maladresse et d'une stupidité sans pareille dans sa défense. Tout cela, mieux vaut ne pas le dire : l'Eglise est coupable, on vous dit!;)
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