La chasse à l'homme, ou l'hallali médiatique

Dans ces moments là, plus rien ne compte. Chacun essaie de doubler l'autre, d'apporter une nouvelle information au moulin médiatique. Qui sera illico repris par tous. Pas de scoop ici. Car pour faire tourner la machine, il faut du combustible, il faut du neuf, coco. Il faut justifier qu'on continue sur ce sujet... Surtout fouiner, mais éviter de réfléchir. Complètement irréel...
C'est le cas, typiquement, de l'affaire machin chose. Vous savez, ce pauvre type soupçonné d'avoir volé près de 5 milliards d'euros à la Société générale en moins d'une année. C'est l'idéal. Une info impensable, incroyable, en pleine crise finanicère et boursière. Plus c'est gros, plus ça passe. Pensez à l'affaire Courjault et à cette histoire de complot coréen, tout le monde l'avait cru. Pensez à l'affaire Dutroux, à cette histoire de réseaux internationaux. Pensez à l'affaire d'Outreau, tout le monde avait chargé le juge Burgault après coup, mais qui se souvient que certains journaux avaient inventé tout et n'importe quoi?
Il faut se méfier de ces moments de tournis médiatique. Tout le monde perd la raison, le temps s'arrête. Pure folie... On en oublie les règles de déontologie, on reprend les infos de départ sans sourciller, on diffuse le nom, la photo de ce courtier. On va voir sa famille, ses profs de fac. Qui prend désormais la peine d'employer le conditionnel, de parler de "suspect"? Qui respecte la présomption d'innocence? Qui pense à s'interroger? Qui s'arrête cinq minutes, le temps de souffler? D'analyser tout ça? Je veux dire, autrement qu'en fin d'article?
Tel un cheval au galop, les médias ne peuvent s'arrêter, c'est trop tard. Cet homme est traîné dans la boue. 5 milliards en un an, ça fait beaucoup. On peut même se demander, (merci Nicolas) pourquoi personne ne s'étonne qu'une telle somme n'empêche pas la troisième banque française de réaliser un bénéfice net, en 2007, compris entre 600 et 800 millions d'euros!
Pensez de temps à autre à prendre du recul quand tous les médias ne parlent que d'un sujet. Daniel Schneidermann avait écrit un bouquin là-dessus, le Cauchemar médiatique. lisez-le, c'est instructif. C'est vraiment ça, un cauchemar, une sensation onirique, une perte totale de réalité.
Non pas que cette histoire soit forcément fausse, on n'en sait rien. Mais justement. Le journaliste se doit de rester prudent, pas de sauter à pied joint dans un conte de fées dans lequel il a ensuite du mal à sortir.