L'Elysée veut renforcer le monolithisme de l'information
Alors qu'une partie de la crise économico-morale des médias français provient d'un monolithisme croissant en France (conformisme d'un côté, concentration des titres de l'autre), c'est-à-dire d'un manque criant de pluralisme, l'Elysée aurait une idée lumineuse selon une info dénichée sur lemonde.fr et provenant de Mediapart : confier aux entreprises de la PQR (presse quotidienne régionale) les décrochages locaux (mi-journée plus tranche horaire 18h30-20h30) de France 3.
Selon Mediapart, et comme on peut s'en douter, cette idée s'inscrit dans le cadre de la réflexion sur la suppression de la pub à la télé publique. Il est vrai que les seules taxes sur les chaînes privées ne suffiront pas à combler le déficit de 800 M€ correspondant au budget publicitaire de France Télévisions. Et Henri Guaino a confirmé hier soir sur RTL qu'il n'y aurait pas d'augmentation de la redevance. L'information, tout le monde sait que ça coûte plus cher que la production d'émissions bidon à la Delarue. Et oui, l'information a un prix, quoi qu'on en dise. L'Etat pourrait être tenté de réaliser des économies là-dessus.
Le projet? Il s'agirait de créer des "sociétés d’économie mixte, intégrant aussi les collectivités locales, notamment les régions, permettra d’adosser juridiquement et financièrement chacune de ces nouvelles structures régionales".
L'avantage : consolider la PQR, qui fait déjà de gros efforts pour diversifier son activité, et notamment dans le secteur du web. Bon nombre de groupes ont déjà investi dans la télé en demandant des canaux sur la TNT.
Une telle méthode permettrait aussi, toujours selon Mediapart, de "désamorcer l'opposition des socialistes en associant au montage les conseils régionaux -tous de gauche, à l’exception de l’Alsace- à la réforme. On rêve déjà à l'Elysée d'un consensus politique et professionnel avec cette explication à double détente: pérennité du service public et sauvetage de la presse écrite régionale ".
L'inconvénient : dans la plupart des régions, toute concurrence a disparu au niveau de l'information. Une telle mesure renforcerait cet état de fait. C'est amusant que le libéralisme permette la création de véritables monopoles. Les pouvoirs publics laissent faire, bien entendu. Ne surtout pas s'aliéner les patrons de presse. Les cajoler dès que possible.
Les seuls "concurrents", bien souvent, sont les radios et télés, qui se contentent souvent de recopier le contenu du journal local. Dans la région dont je suis originaire, la Touraine, un seul média domine : La Nouvelle-République. C'est planplan. C'est convenu. C'est copain-copain avec la plupart des dirigeants locaux, patrons ou élus. Eh oui, quand il n'y a pas de concurrence, pas de raison de s'embêter avec des infos dérangeantes... C'est fatigant, de chercher! Ah, j'oubliais : toute personne ayant des vélléités de création d'un titre concurrent subit un tas d'embêtements. En général, on abandonne rapidement.
Dans la région où j'habite actuellement, la région lilloise il y a au contraire un foisonnement de titres. Une véritable diversité. Mais la plupart sont sous la coupe règlée du caïd local : la Voix du Nord. Cet ogre passe son temps à racheter les petits hebdos locaux. Quel pluralisme, quand toutes les cartes sont dans la même main? Si l'édition locale de France 3 tombait dans sa main, quelle source d'informations différentes aurait le nordiste? France Bleu Nord? Copié-collé de la Voix du jour. M6? Oui, mais combien de temps le décrochage durera-t-il? L'info ne rapporte pas assez d'argent... Elle n'en rapporte pas du tout, même! 20 Minutes? Ne rêvons pas, la rédaction est constituée de deux personnes. Ils font ce qu'ils peuvent, c'est-à-dire pas grand-chose.
On a là deux exemples différents aboutissant au même résultat : concentration de l'information dans les mêmes mains. Ce qui ne produit jamais de bons résultats. On veut solidifier des entreprises, on leur donne des tailles extravagantes. Plutôt que de soigner le mal réel de la presse, c'est-à-dire son décalage par rapport à ce qu'attendent les lecteurs, on met un pansement ridicule en lui octroyant sans cesse des subventions et des facilités économiques... Là aussi, n'est-on pas à la frontière du libéralisme?
Hier soir, invité du Grand Jury sur RTL, Henri Guaino n'a pas confirmé l'info de MediaPart. Mais il a assuré que tout était possible, que tout était discutable. Y compris le baillonnement de l'info.