Les religions doivent-elles être "compatibles" avec la démocratie?
Au cours du meeting de soutien à Ayaan Hirsi Ali, hollandaise de 39 ans, d'origine somalienne et menacée de mort aux Pays-Bas pour ses critiques de l'islam, Ségolène Royal a dit ceci (j'ai entendu ses mots sur France Info, je cite de mémoire) : "Les religions doivent s'adapter pour être compatibles avec la démocratie".
Un tel propos pose question. A partir de quand peut-on critiquer une religion? Celle-ci doit-elle être intangible, en-dehors de son époque, ou celle-ci doit-elle avoir prise sur elle? Le temps peut-il modifier le message des religions? Celles-ci, elles-mêmes, peuvent-elles critiquer la démocratie, critiquer leur époque?
Cette réflexion est cruciale pour l'avenir, mais n'en déplaise à Ségolène Royal, les religions ont préexisté à la démocratie et lui survivront sans doute. La question ne se pose donc pas tant vis-à-vis de la démocratie que du "monde" dans lequel nous vivons.
Je n'ai pas d'avis sur cette Somalienne, amie de Theo Van Gogh, le cinéaste déjà assassiné par les intégristes. Pierre Catalan a le sien, j'ai tendance à penser comme lui. Tout en ignorant, à vrai dire, tout de son histoire, de son parcours, hormis ce qu'on peut attendre dans quelques articles lus à la volée. Ceux qui menacent Ayaan Hirsi Ali sont des intégristes, des fous. Ils ne représentent pas une religion mais une idéologie. Mais peut-on attaquer une religion de manière aussi frontale? Est-on autorisé à dire que "la doctrine stricte de l'islam est incompatible avec une démocratie libérale"? Puisque personne n'a le droit de dire ce qu'est véritablement l'islam, en l'absence de magistère... Est-ce malin, d'aller provoquer des idiots?
Oui, l'excision est un crime. Oui la lapidation en est un. Oui, les injures qui sont faites aux femmes dans certains pays musulmans sont critiquables. J'ai du mal à saisir la justification du voile islamique. Mais ces maux proviennent-ils de l'islam, ou sont-ils culturels? Et qu'est-ce qui permet à Ségolène Royal d'étendre un propos destiné aux intégristes islamistes à toutes les religions?
Je ne suis pas musulman, je connais mal l'islam, ce qui rend les réponses difficiles. Ce qui me gêne, c'est cette référence à la "démocratie libérale", qui n'est pas un régime politique, comme nous l'avons vu la semaine dernière, mais plutôt un mode de vie, une façon de penser, un corpus de bienpensance. Une quasi-religion, de fait! Une religion qui nous dit ce qu'il est bon de penser ou pas.
Cette référence laisse à penser que les religions devraient se revêtir de "politiquement correct". Qu'elles devraient subir un nivellement par le bas. Elles ne devraient plus déranger personne. Parle-t-on de dogme, ou parle-t-on d'us et coutumes? La religion catholique, par exemple, doit-elle renoncer à certaines de ses croyances pour s'adapter à la "démocratie libérale"? Doit-elle accepter de se "moderniser"? De céder à l'air du temps, elle qui a une expérience millénaire?
Allez, mettons les pieds dans le plat puisqu'on y est : l'Eglise doit-elle, par exemple, se taire sur la contraception? Se taire sur l'homosexualité? Se taire sur la "liberté sexuelle"? Se taire sur sa doctrine sociale? Elle a sur ces sujets une position tranchée que beaucoup contestent. Qui agace. Mais la "démocratie libérale" signifie-t-elle que tout doit être lisse? Qu'il ne doit pas y avoir de divergences?
Une religion qui s'adapte ne peut être qu'une mascarade. En muant, elle reconnaît qu'au fond, elle a eu tort! Vous imaginez Benoît XVI, nous dire ceci : "Ah, désolé les gars, notre message a changé, il a fallu l'adapter, on nous a mis la pression là..." Mais le message, s'il est divin, est immuable! Les rites, eux, peuvent changer. Mais le fond ne peut pas évoluer. Qu'on criminalise l'excision, pourquoi pas. C'est un crime contre la femme, donc contre l'humain, et donc contre Dieu, fatalement. Extrapoler sur les religions me paraît toutefois hasardeux.
Et puis, que les sociétés fassent pression sur les religions est amusant lorsque les premières prétendent interdire aux secondes de s'exprimer dans le champ public. La laïcité, ça marche pas dans les deux sens? Il faut se rendre compte de ce que Ségolène Royal demande aux religions. Non seulement, vous devez vous la fermer, mais en plus, vous allez devoir changer, s'il vous plaît! Et sans vous plaindre! J'aimerais, plus que tout, savoir ce que Ségolène Royal entendait par "s'adapter". Vraiment. Un désir d'avenir, peut-être?