Trop de shoah tue la shoah
Une impression de déjà vu, après le dîner hier soir du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Nicolas Sarkozy y a reprécisé sa vision de la laïcité, mais surtout, il a proposé qu'à partir de la rentrée 2008, tous les enfants de CM2 se voient confier la mémoire d'un des 11 000 enfants français victimes de la Shoah : J'ai demandé au gouvernement, et plus particulièrement au ministre de l'Education nationale, Xavier Darcos, de faire en sorte que, chaque année, à partir de la rentrée scolaire 2008, tous les enfants de CM2 se voient confier la mémoire d'un des 11 000 enfants français victimes de la Shoah. Les enfants de CM2 devront connaître le nom et l'existence d'un enfant mort dans la Shoah. Rien n'est plus intime que le nom et le prénom d'une personne. Rien n'est plus émouvant pour un enfant que l'histoire d'un enfant de son âge, qui avait les mêmes jeux, les mêmes joies et les mêmes espérances que lui".
La Shoah a été une chose horrible. Comment imaginer qu'on puisse décider de supprimer méthodiquement, un à un, tous les membres d'un peuple donné? Cela dépasse l'entendement. Mais on peut craindre qu'on en fasse trop, beaucoup trop à ce sujet. L'idée paraît bonne, humaine, bien sûr. Mais on éprouve un sentiment de lassitude à ce sujet. D'autant qu'on sent confusément que cette annonce ressemble à une autre : celle de la lecture de la lettre de Guy Môquet. Tous les élèves vont parrainer un petit juif déporté?
Nicolas Sarkozy entend ainsi lutter contre l'antisémitisme. Croit-il que la transmission de cette histoire va faire reculer cette haine stupide de l'autre? Croit-il que ceux qui détestent les juifs (on se demande toujours pourquoi) ignorent tout de la Shoah? A qui s'adresse, exactement, cette proposition?
J'ai visité, il y a quelques annes, le Musée de l'Holocauste de Washington D.C. J'avais 15 ans, j'ai été effrayé par tant d'horreurs suggérées. On m'avait donné à l'entrée une petite carte, avec le nom d'un déporté hongrois, mort gazé à 35 ans. Je m'en souviens encore. Je m'étais identifié à lui, preuve que l'idée de Sarkozy n'est pas stupide.
Depuis que je suis tout petit, j'ai l'impresion d'être sans cesse rappelé à mon devoir d'humain en ce qui concerne la Shoah. Comme si, en définitive, on devait se sentir coupable de quelque chose, voire redevable vis-à-vis des juifs actuels. Mais est-ce leur rendre service, véritablement, que de sans cesse marteler ce souvenir affreux? On peut en douter. Les films, les expositions, les livres, les biographies... On donne, au fond, du grain à moudre à ces irréductibles Dieudonnistes, qui ont beau jeu de faire les comptes et de comparer les mémoires des différents génocides.
N.B. Selon le Figaro, Ségolène Royal a attendu le départ de Nicolas Sakrozy pour faire son entrée au dîner. Le sectarisme de certains est sans limite, au PS.