Libéraliser le travail dominical, c'est fragiliser l'individu et la famille
"Le dimanche n'est pas un jour comme les autres, c'est vrai. Mais il faut aussi voir comment les choses évoluent. Nous ne pouvons pas refuser à des personnes qui souhaitent travailler le dimanche de le faire", a expliqué hier le ministre du Travail, Xavier Bertrand, en déplacement avec le secrétaire d'Etat à la consommation, Luc Chatel, pour rappeler la mobilisation du gouvernement sur ce sujet.
On y est : le vote de la proposition de loi Maillé, repoussé plusieurs fois, et qui multiplie les dérogations, pourrait intervenir avant la fin de l'année.
Toujours le même raisonnement : le principe reste que le dimanche est un jour de repos, et qu'on ne va pas revenir dessus! Mais on va assouplir, avec le chantage à la création d'emplois et au retour de la croissance, pour protéger la liberté de ces gentils travailleurs qui veulent bosser plus pour gagner plus, et d'ailleurs, un sondage très opportun nous apprend que 67% des Français (je me demande qui?je n'en connais pas) sont prêts non pas à aller faire des courses le dernier jour de la semaine, mais bien à travailler ce jour-là! Il va falloir m'expliquer...
C'est la grande technique : assurer qu'on va respecter un principe, et dans le même temps, lui tordre le cou en appelant à briser les tabous et à sortir des carcans.
On a déjà examiné en détail la proposition de loi Richard Maillé, qui ne va pas très loin, il est vrai, mais écorne déjà sérieusement le principe du repos dominical. Ne soyons pas dupes : une fois que la brèche sera ouverte, les nouvelles exceptions passeront comme une lettre à la Poste. On a ici même beaucoup débattu des conséquences que pourraient avoir une libéralisation du travail du dimanche. Et beaucoup dénoncé l'hypocrisie de ceux qui ouvrent déjà chaque dimanche au mépris de la législation. Pas de radar pour eux.
Je ne vais pas aborder à nouveau les contours économiques de cette loi, même si je reste persuadé, d'une, que le portefeuille des Français n'étant pas extensible, l'ouverture des commerces le dimanche n'augmentera pas leur pouvoir d'achat, et de deux, que les grands perdants seront une nouvelle fois les commerces de ville, si l'on en reste là. Je reste aussi convaincu qu'une "pause commerciale" ne fait pas de mal pour l'Homme. Marre de voir des gens se promener en famille dans les centres commerciaux! Ils seraient aussi bien en forêt à cueillir des champignons.
Pour le reste, les syndicats me paraissent totalement hors-sujet en se focalisant uniquement sur la question du libre choix et du salaire. C'est bien sûr une revendication importante, mais il faut dépasser cet aspect : même payé double et choisi librement (mais ne rêvons pas), le travail dominical ne serait pas satisfaisant.
C'est en effet une véritable révolution de société qu'on risque de subir avec la généralisation du travail dominical. Je suis bien placé pour le dire : dans mon entreprise, on va bientôt devoir tous travailler par roulement le dimanche. Le journalisme ne s'arrête certes pas un jour par semaine. Mais je note que nous n'avons pas eu le choix, et qu'il n'y aura pas d'augmentation de salaire ce jour-là.
Politique de civilisation? Mon oeil! Si on voulait tuer la famille, si on voulait isoler encore plus l'individu, on n'agirait pas autrement. Car que va-t-il se passer? Pour ceux qui travailleront le dimanche, un décalage total par rapport à la société. Des périodes de travail de dix jours sans interruption, avec le jeu des repos hebdomadaires. Et si tout le monde prend ses repos de façon librement choisie, et donc différente, n'est-ce pas la mort de la convivialité?
L'avantage d'un repos identique pour tous saute aux yeux : cela permet à tous de se retrouver, amis, familles... Mariages, communions, bar mitzvah, repas familiaux, pendaisons de crémaillère...
Au lieu de cela, et si l'on s'oriente dans cette voie, certains prendront leurs repos le lundi, d'autres le mardi, etc. Avec parfois, au sein d'une même famille, un mari qui ne prend pas ses jours le même jour que son épouse! Et les enfants, dans tout ça?
On parle beaucoup en ce moment, évidemment, des origines de la crise financière actuelle, de la cupidité, de l'égoïsme des marchés, de leur absence de moralisation. Mais à quoi sert-il de se répandre en banalités et en grands mots, si ce n'est pour en retenir aucune leçon?
Car que fait-on, là, à part raisonner uniquement en termes économiques, et en oubliant tout le reste? En oubliant, tout simplement, l'homme?