Sifflets, assimilation et échec du multiculturalisme

Publié le par Le chafouin

Ce n'est pas la première fois, mais les sifflets entendus hier au stade de France en provenance des supporters français de l'équipe tunisienne de football, à la fois contre la Marseillaise, les Bleus et le pauvre Hatem Ben Arfa me font mal, très mal. Ils ne savent pas ce qu'ils font, mais faut-il leur pardonner?

La fois dernière, il s'agissait de France-Maroc, il y a quasiment un an, en novembre 2007. Et je cherchais vainement des explications sociales à cette véritable honte. Une honte, parce que ces Français issus de l'immigration tunisienne sont peut-être des déracinés, et l'Etat n'a peut-être pas tout fait pour leur faciliter la tâche, mais la France reste leur patrie d'adoption à laquelle ils doivent un minimum de respect. Soutenir la Tunisie est leur droit le plus strict, mais s'ils crachent sur le drapeau bleu-blanc-rouge et la Marseillaise, je leur suggère cette alternative : soit demander l'asile politique en Tunisie, pays que manifestement ils préfèrent, soit rester en France en demandant la nationalité Tunisienne.

Sur ce sujet, les bornes sont franchies et on ne peut plus se contenter de parler de simple problème d'éducation, de politesse, ou peut-être tout simplement de mimétisme (les sifflets pouvant devenir un jeu), même si ces trois aspects sont présents dans cette crise.

Hatem Ben Arfa, né Tunisien mais qui a choisi le maillot bleu, a été lui aussi copieusement sifflé et qu'en dit-il? "On l'avait vu contre le Maroc et l'Algérie, on va dire que c'est devenu une habitude même si je ne sais pas s'ils le pensent vraiment. Mais je ne leur en veux pas vraiment. C'est un peu dommage mais ce n'est pas grave. Il y avait plus de Tunisiens que de Français, il faut les comprendre. C'est sûr que c'est bête mais du moment qu'il y avait du spectacle et que tout le monde s'est fait plaisir, ce n'est pas le plus important? C'était un match important pour la communauté tunisienne et française pour qu'elles se rassemblent, a ajouté le joueur de Marseille. Pour moi, c'était une fierté."

On peut applaudir à sa compréhension et sa nuance, mais ce genre d'opinion n'est-il pas totalement à côté de la plaque, angélique, voire aveugle? Est-ce "vraiment le plus important", que la France ait gagné et qu'il y ait eu du spectacle? Les communautés se sont-elles vraiment "rassemblées"? Peut-on parle de "fierté", ou plutôt de honte?

Cette fois, comme Criticus, je ne peux que me résoudre à l'évidence : il y a un gros problème avec la notion de nationalité dans notre pays, qui n'est plus du tout intégrateur mais qui accole les communautés les unes à côtés des autres sans chercher à leur trouver un but commun. Ce n'est pas un problème social, puisque jusqu'à preuve du contraire, on n'a jamais vu des RMIstes dits "de souche" (terme vraiment peu adéquat, mais je n'en ai pas d'autres) siffler la Marseillaise.

La faute, pour moi, est toute trouvée : on a voulu flatter les origines des immigrés, dans les années 80, et créer des "Beurs", des "Maghrébins de France", ce qui est une hérésie totale : soit ils sont maghrébins, soit ils sont Français. Pas les deux. Qu'es-ce que ça veut dire, "Beur"? Parle-t-on de Pollack ou de Rital? Parle-t-on de "Breton du Nord"?

C'est cette schyzophrénie, orchestrée par des mouvements comme SOS-Racisme avec la complicité objective du PS et de la gauche, trop heureux de s'assurer le vote d'une minorité importante et ainsi créer de toutes pièces le Front national, épine qui restera longtemps dans le pied de la droite. qui est à l'origine de cette situation.

Résultat : la communauté nationale est aujourd'hui fracturée (les communautés asiatiques ne sont pas moins renfermées sur elles-mêmes, d'ailleurs), et les identitaires extrémistes reprennent du poil de la bête en se faisant passer pour de gentils défenseurs de la culture locale.

On court au conflit, et au conflit armé, c'est une évidence : déjà, les politiques marchent sur des oeufs dès qu'ils pénètrent dans les cités, dont on achète le silence à coups de subventions. Les insultes du type "sale Français" se multiplient, et je ne vois pas comment on va passer à côté d'une nouvelle crise majeure.

Dès lors, que faire? Si je partage son diagnostic, je n'agrée pas à la conclusion de Criticus, qui propose de créer une forme de "nationalité au mérite", qui récompenserait de la carte d'identité ceux qui s'en sont montrés dignes, qu'ils soient de souche ou  pas. Si l'idée est séduisante, elle me semble impraticable dans les faits. Quels seraient les critères, la méthodologie utilisée? Et surtout, la nationalité n'est-elle pas un fait, plus qu'une récompense à gagner? Je suis Français, parce que je suis comme ci ou comme ça, pas parce que je suis né quelque part ou que j'ai été gentil à l'école.

Comme Rubin Sfadj, je crois donc plutôt à une relance du modèle assimilationniste, qui seul peut permettre de créer une communauté soudée. Les tests de langue pour acquérir la nationalité vont dès lors dans le bon sens, même si ce n'est pas suffisant. Contrairement à ce que nous ont fait croire les chimères gauchisantes, une société homogène n'est pas forcément synonyme de renfermement sur soi. Car ne pas accorder la nationalité, ce n'est pas rejetter l'autre, c'est le considérer tout bonnement comme ce qu'il est : un autre. Et une société éclatée ou multiculturelle n'est pas ce paradis qu'on nous a fait miroiter, où le steak-frites se mélange au nem et au couscous pour le plus grand plaisir des papilles et le plus grand bonheur de tous.


EDIT : La décision annoncée par le gouvernement, de pure communication, d'interrompre les matches en cas de sifflets de l'hymne national est doublement contestable : d'une part parce qu'elle n'est pas applicable (au niveau sécurité, et puis parce que ce serait injuste), d'autre part, parce que cette annonce permet surtout d'éluder le fond du problème. J'entendais hier soir Roselyne Bachelot sur France 2 : je ne l'ai pas entendu parler de politique d'intégration ou de politique familiale.

Lire aussi, à ce sujet, la réflexion de Malakine.

Publié dans Institutions

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L
@VinzAh me je ne prétends pas que le PS actuel continue dans cette voie : effectivement, il a évolué dans le bon sens, globalement. Quoiqu'un certain Hammadie (tu l'as dit sur ton blog...) se permette encore de placer ces sifflets dans un contexte de décolonisation, ce qui est parfaitement absurde, surtout concernant la Tunisie.La droite, elle, mène à mon sens une politique injuste ; on balance des sous, mais on n'envoie que des CRS.
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V
Je suis bien d'accord que la gauche a un grand rôle dans ce qu'il se passe aujourd'hui, en jouant les gentils immigrés contre les méchants français racistes.Mais ils ont évolué : en 1989 la plupart soutenaient les voilées (Royal avait d'ailleurs signé une pétition en ce sens), en 2004 presque tous les députés socialistes ont voté la loi anti-voile.Il reste évidemment toujours des gauchistes au PS, prêts à excuser tout au nom des discriminations dont sont victimes les Français d'origine étrangère (et même la colonisation !! alors que tous ces gamins qui sifflent ne l'ont évidemment jamais connu…), mais il ne faut pas globaliser.C'est vrai que même les plus républicains, les plus défenseurs de la nation, au PS (Fabius, Mélenchon) critiquent bien plus facilement le libre-échange que la libre circulation des personnes (alors qu'on sait très bien, outre les problèmes d'assimilation, que c'est utilisé par les patrons pour tirer les salaires vers le bas, ce qui devrait révolter la gauche), piégés par l'internationalisme socialiste.Par contre le communautarisme (avant-tout religieux) qui mine la nation, est une plaie entretenue par les politiques de droite comme de gauche. À la mairie de Paris, Delanoë ne fait que continuer ce que faisait déjà Chirac.
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L
@VinzBonjour!le libéralisme.. N'est pas particulièrement à droite, si j'en juge le sdébats actuels au PS. Qui s'est ému, au PS, de la libre circulation des hommes et des marchandises en Europe, et de la mort de facto de la Nation? Qui s'est ému, au PS, des nationalisations massives en espagne sous la houlette du gouvernement Zapatero?Je ne pense pas que l'UMP et que feu le RPR soient exempts de critiques, comme je l'ai indiqué plus haut (M. Sarkozy n'a pas contribué à l'apaisement des esprits, bien au contraire...) mais je pense que la source des problèmes est née dans les années 80. Ce n'est qu'à cette époque,par exemple, qu'ont commencé à renaître les voiles dans les banlieues... Est-ce un hasard?@IR Je le répète, on se fiche des sifflets pris isolément. Mais c'est un révélateur de quelque chose qui se constate à un niveau plus global. Les faits doivent s'interpréter ainsi, à la lueur d'autres faits, tu le sais bien...Et au niveau des journalistes et du gouvernement, je ne vois pas beaucoup cette réflexion sur l'idée de nation. Pas beaucoup...
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I
J'ai grandi près d'un stade de foot, hôte d'innombrables rencontres nationales et parfois internationales.De quoi me vacciner à jamais vis-à-vis d'une certaine frange de supporters, manifestement composée de crétins alcoolisés et acéphales.Et des conneries j'en ai vues et entendues - j'habitais assez près pour entendre hymnes, sifflets, clameurs, et pour voir débarquer les autocars de supporters.Cris de singe, insultes, saluts nazis, quolibets, hymnes nationaux ou de club sifflés. Sans parler des bastons d'après-match.Alors bien sûr, cela me choque d'entendre qu'on siffle La Marseillaise. Comme tout autre hymne national d'ailleurs.Mais je suis effarée de voir la récupération politique de cet incident. Tant l'Etat que les journaleux et bien des blogueurs semblent avoir perdu tout sens de la mesure, la chose enfle jusqu'à devenir une tempête dans un verre d'eau, on en appelle aux Valeurs de la Patrie menacée d'un côté, et à l'humanisme post-colonial repentant de l'autre...Complètement ridicule et hors de proportion, selon moi.
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V
Oui, y a un problème avec la nation, mais c'est un peu gros de tout mettre sur le dos du PS des années 80.Mais Sarkozy c'est quand même aussi un sacré communautariste.Et puis, c'est quand même le libéralisme, avec la libre-circulation des capitaux, et des hommes, qui est responsable de l'effacement des frontières et par conséquent des nations.Et le libéralisme, c'est quand même plutôt la droite qui le défend.
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