Provocateur, Raymond Barre est à son tour rattrapé par la police de la pensée
Pas très malin, Raymond Barre. L'ancien premier ministre et ex-maire de Lyon se trouve aujourd'hui dans l'oeil du cyclone après les propos qu'il a tenus sur France Culture le 1er mars, confirmés depuis sur RTL, et décriées par la gauche et les associations droits de l'hommistes comme des déclarations "antisémites". Ni plus, ni moins.
De quoi s'agit-il? On reproche en premier lieu à Raymond Barre d'avoir apporté son soutien à Maurice Papon (qui était son ministre du budget de 76 à 79) et à Bruno Gollnisch. Il dénonce la condamnation pour révisionnisme du député européen FN, qu'il juge contraire à la liberté d'expression, tout en affirmant "blâmer" les propos sur les chambres à gaz ayant entraîné les poursuites.
Sur Maurice Papon, Raymond Barre explique ne "pas regretter" de l'avoir nommé dans son gouvernement en 1976, le qualifie de "grand commis de l'Etat" ayant "surtout payé pour Charonne". Se taisant sur la répression de la manifestation algérienne de 1961 et sur le rôle joué par Papon à la tête de la Préfecture de la Gironde pendant la guerre, Barre parle de lui comme d'un "bouc émissaire".
Mais "ceux qui pensent bien" reprochent surtout à Barre ses propos de 1980 tenus après l'attentat de la rue Copernic, qui avait visé une synagogue. Ce jour là, Barre tient un propos surprenant de bêtise : il parle d'un "attentat odieux qui voulait frapper les juifs présents dans cette synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic". Aujourd'hui, Barre parle d'un "lobby juif" qui a toujours cherché à le discréditer et à le traiter d'antisémite, et qui est "capable de monter des opérations indignes". Sur RTL, le 8 mars, Barre dénonce la "clique qui depuis 1979 veut me faire apparaître comme antisémite".
Défendre Charlie Hebdo, oui, Raymond Barre, non?
Que faut-il penser de tout cela? D'abord, notons qu'interrogé sur le bouquin qu'il sort, "L'expérience du pouvoir", Barre est surtout interrogé sur Papon, Gollnisch et Copernic. Le piège était tendu, sur une radio régulièrement critiquée pour ses sympathies pour le sionisme. En réalité, Barre est critiqué par la police de la pensée pour des propos tenus il y a plus de 25 ans! Qu'on les juge inadmissibles, pourquoi pas, après tout. Mais pour le coup, c'est un lynchage en règle auquel on assiste. C'est à celui qui réagira le plus violemment contre des propos qu'il contribuera ainsi à médiatiser sans s'en apercevoir.
Quand on lit les réactions, il y a de quoi être songeur. Il y a d'abord ceux qui disent ce qu'ils pensent. Julien Dray, par exemple, clame que ces propos sont indignes d'un ancien premier ministre. Le boule-dogue de Hollande enfonce le clou : "A défaut d'avoir marqué l'histoire en tant que premier ministre, peut-être cherche-t-il à le faire par la provocation". Bayrou parle de propos "purement et simplement inacceptables". Dans Libération, mardi, le réalisateur Claude Lanzmann va plus loin, accusant Barre d'antisémitisme et de se faire le "héraut de cette passion immonde, de la propager et de la glorifier".
Pourquoi pas, après tout. On peut estimer que Barre a le droit de dire ce qu'il veut, même des bêtises, et c'est mon cas. Il ne s'agit pas de défendre l'homme, ni de défendre ce qu'il a dit, mais de militer pour la liberté d'expression, qui est aujourd'hui menacée de partout. Si l'on raisonne ainsi, Dray et Bayrou ont donc eux-aussi le droit légitime de le critiquer, de lui répondre. Et c'est ça, l'intérêt du débat. Tenter de trouver la vérité par l'échange. Sauf que dans ce cas précis, il s'agit plus d'anathèmes que d'arguments. Repris par Le Monde du 6 mars, qui titre : "la polémique enfle autour des propos antisémites de Raymond Barre". Le Monde a visiblement choisi son camp. Est-ce le rôle des journalistes? Le Figaro a choisi un titre plus objectif : "Accusé d'antisémitisme, Barre réplique".
SOS racisme et la Ligue des droits de l'homme, elles, ont franchi un second cap, qu'il faut réprouver avec force : ces associations qui représentent le politiquement correct le plus abouti veulent traîner Barre en justice. Les mêmes qui défendaient il y a tout juste quelques semaines la liberté d'expression de Charlie Hebdo (parce qu'elles jugent que ce que ce journal écrit ou dessine est DIGNE d'être défendu) la dénient à l'ex-maire de Lyon. On aurait le droit d'insulter les musulmans mais pas les Juifs. Hé oui, on peut tout dire, mais faut pas exagérer non plus... Si tu dévies du droit chemin fixé par la loi (on se croirait dans un Etat policier), je t'attaque en justice. Et en t'attaquant en justice, je ferme le débat en imposant un point de vue par la force.