La haine comme moteur de l'action politique
Il faut que je vous parle d'un type, que vous connaissez peut-être déjà. Il a une belle plume, une grande culture politique, un cynisme sans borne et un charisme certain. Avec en prime, un sens de l'humour désopilant, et un amour inconditionnel pour les briques. Et à vrai dire, un penchant pour toute les formes de sévices physiques à infliger aux méchants capitalistes, aux infâmes curés et aux salauds de publicitaires.
Cet énergumène, c'est l'auteur du blog "CSP", alias le Comité de Salut Public, du nom de cet effroyable tribunal révolutionnaire qui, à l'époque radieuse de la Terreur, envoyait les ennemis de la liberté à l'échafaud sans autre forme de procès. Tout un programme, avant même d'avoir jeté un œil sur sa prose. Un autre blog s'appelle bien "Vive le goulag", alors pourquoi pas? (On imagine la durée de vie d'un blog intitulé "Vive Auschwitz", mais c'est sûrement un signe de mauvaise foi de notre part)
En le découvrant, CSP m'a d'abord révulsé. Et puis dans un second temps, j'ai lu plus attentivement, les sujets m'ont amusé puis intéressé. Comme l'auteur le dit lui-même, "c'est un exercice de l'esprit qui est intéressant : s'aventurer en territoire hostile est toujours très instructif". Les rengaines crypto-trotskystes m'ont à vrai dire un peu déridé, puis bousculé. Je croyais à une forme de second degré dans ces écrits. Et puis, leur montée en puissance correspondait vaguement à celle du mentor de l'ultra-gauche, le sémillant facteur neuilléen Olivier Besancenot. Vous savez, cette gueule d'ange rouge maquée avec une éditrice parisenne pleine aux as. Une opération de découverte, à visée sociologique, s'imposait donc. Et j'ai passé des mois en immersion...
Ceux-ci ont passé, et malgré ma bonne volonté petit à petit, le malaise a grandi. Au fil des lectures, la plume m'a parue plus amère. Plus je lisais, et moins je regardais les bons mots, l'enrobage, pour me focaliser uniquement sur le démontage en règle des blogueurs libéraux par trop caricaturaux ou encore adolescents, les sempiternelles fusillades d'Ivan Rioufol, les coups de bambou infligés aux sociaux-traîtres du PS. Ils ont fini par me lasser. Le disque m'a vite semblé rayé, mon intérêt a décliné. CSP avait beau me classer parmi ses blogs de droite favoris (appartenance politique que je refuse toujours), je cherchais vainement une espérance derrière ce tombereau d'injures et cet amas de violence.
Pouvait-il y en avoir une? Quel est le but de tout cela, je veux dire, à part vomir sur les méchants riches et de célébrer la montée du Nouveau Parti Anticapitaliste? Pouvait-il seulement exister un minuscule projet ou une envie dans ce torrent de râleries et de mécontentement? Un semblant de positif dans ce fatras de critiques acerbes et de "fureur enthousiaste"?
Je crains que non. Ici, tout n'est définitivement que haine, haine, et encore haine. Une fois tombé le masque du cynisme et du style fort joli, ne reste qu'elle. La haine. Un crachat, une morsure.
Si seulement, après tout, un humanisme se cachait derrière tout cela, mais même pas. A l'écouter, on n'a même pas le droit d'être catholique et de l'exprimer publiquement. Défiler vêtu de string en cuir sur des chars ridicules, oui, mais marcher au nom de valeurs jugées "réactionnaires", non. Bloquer toutes les semaines les rues de nos villes avec des manifestations conservatrices réunissant toujours les mêmes cégétistes, oui, mais une fois par an, rappeler qu'il existe des prolife, non. Cette opinion n'a pas le droit d'être exprimée.
On en revient au final au titre même du blog. Comité de Salut Public. Pas de liberté pour les ennemis de la liberté. Pas de quartier pour ceux qui pensent différemment. Pas de rémission. Pas de trêve. Pas de négociation, seulement le combat, et si possible, le combat à mort. On ne se bat pas avec les mêmes armes, un peu comme le Mordor dans le Seigneur des Anneaux : il veut juste tuer, détruire. Il n'est pas question de fraternité ou d'amour de l'humanité.
Or la haine peut-elle être un moteur de l'action politique? J'en doute.
Il est d'ailleur assez préoccupant, pour élargir un peu le sujet, de voir qu'à chaque crise, on en revient aux mêmes recettes. Les mêmes qui excitaient le peuple en 1789, 1830, 1848, 1871, 1917 (avec les résultats que l'on sait), avec leurs promesses de lendemains qui chantent, reviennent aujourd'hui en promettant la lune à tous les exploités du système. Olivier Besancenot a ainsi été désigné par un sondage Opinion Way, pour la deuxième fois, comme le meilleur opposant à Sarkozy. On croit rêver!
Car lui, sa haine, il la cache mieux que CSP. Il fait le malin chez Drucker ou Denisot, joue le gendre idéal, mais surtout évite de s'étendre sur son programme rétrograde qui nous plongerait à coup sûr dans la guerre civile s'il était appliqué. La volonté de légalisation de drogues dures en est un bon exemple.
Comme disait Nicolas Sarkozy dans son discours de Toulon, "l'anticapitalisme n'offre aucune solution à la crise actuelle. Renouer avec le collectivisme qui a provoqué dans le passé tant de désastres serait une erreur historique".
Erreur historique, oui. Dans laquelle peuvent pourtant tomber facilement les populations les plus fragiles, qui ne voient que les caciques de la LCR se déplacer vers eux. Sans compter qu'une forme de radicalisation d'une certaine jeunesse coexiste avec l'action politique des "antis". Que celle-ci est prise très au sérieux et inquiète au plus haut point dans les sphères policières, et que cette menace est étudiée au même titre que celle qui résulte de l'intégrisme islamiste.
Disons-le tout net : c'est très triste. Ces gens sont tristes. Ils me font sincèrement de la peine, car ils gâchent leur santé et leur belle jeunesse à voir le monde en noir, à chercher des méchants et des complots partout, dans une parano qui va croissant...
Et vous, pensez-vous que la haine, la fureur, puissent être le ferment de quoi que ce soit de productif, de constructif pour la France et le monde?