Faut sauver le modèle social, mais pas question d'y contribuer!
Depuis quelques semaines, je lis une partie d'entre eux, assidûment. Plus que les blogs libéraux que je fréquente tout aussi régulièrement, ils sont littéralement excités par le mouvement social en cours (d'achèvement?). L'odeur du fumigène, du piquet de grève, de la saucisse grillée sur le barbecue, sans doute. L'amour de ces chansons ringardes qu'on entend dans les manifs. Bref, on assiste à une véritable radicalisation verbale, qui n'est d'ailleurs pas inintéressante à observer et analyser. Parce que les mots ont un sens, que leurs auteurs ont une responsabilité et de là à ce que les actes suivent, il suffirait de presque rien.
Deux posts, trois posts, quatre posts par jour, une avalanche de courageux articles pour dénoncer le traitement médiatique du mouvement des cheminots, la démagogie du gouvernement, l'égoïsme des usagers en colère (sic). Pour démonter (parfois avec un certain brio) les arguments des "salauds de patron". Classe contre classe, comme au bon vieux temps. Mais aussi pour tenter d'approfondir le coeur du débat : les retraites. Souvenons-nous, c'est ça le sujet. Les cheminots, c'est un détail.
Le blog Sabotage, dont le nom pourrait à lui seul inspirer un roman, fournissait hier un exemple-type de l'opinion de la gauche de la gauche (on devrait sans doute plutôt dire : la vraie gauche) face au problème incontournable du vieillissement de la population et de la disproportion grandissante entre les nombres d'actifs et d'inactifs :
La productivité augmente plus vite que l'espérance de vie. Donc la richesse existe pour financer largement cet allongement de l'espérance de vie. Simplement il y a un choix politique idéologique: laisser les capitalistes, les actionnaires, les possédants, accaparer cette richesse supplémentaire au lieu de la distribuer à ceux et celles qui ont contribué à la produire.
L'argument n'est pas si idiot que cela : on a un problème de financement de notre système, qui ne durera pas comme les contributions, alors autant aller chercher l'argent où il se trouve : chez les riches. Pas si idiot, mais un peu pervers. C'est fou, cette attitude qui consiste à toujours, sans cesse, dévier le problème sur les "salauds de riches". Qui sont forcément les méchants, les ennemis. L'obsession. Notez qu'il ne s'agit pas ici de dédouaner les plus fortunés de leur responsabilité. Je précise que je ne suis ni rentier, ni chef d'entreprise, ni golden boy. Les "classes dominantes" doivent contribuer plus que les autres au bon fonctionnement de la société, certes. Mais proportionnellement, pas d'avantage. Pas de raison. On sait d'ailleurs où a déjà mené ce réflexe de classe : à massacrer, sans vergogne, les koulaks du temps du bon vieux Lénine.
Et puis, le système de répartition doit continuer à se suffire à lui-même. Il le peut. Simplement, comme il y a moins d'actifs, plus de "passifs", on doit tous commettre de petits sacrifices. On ne voit pas bien ce qu'il y a de réactionnaire là-dedans. Ce n'est pas de la "propagande", ce mot directement issu des Soviets (accolé généralement, à l'époque, du terme impérialiste que pas un vigilant ne renierait) et qu'on voit fleurir chez nombre de nos Phares Bretons. Certains sont prêts à taxer d'avantage les riches, ils trouvent cela normal, mais refusent le principe de travailler deux malheureuses années et demi de plus. C'est quoi, deux ans et demi, sur une carrière de quarante? En sachant qu'au bas mot, derrière, on a encore trente, voire quarante années à profiter de l'oisiveté, de Thalassa, des Chiffres et des Lettres?
Pas logique. Pas normal. Les mêmes qui veulent conserver à tout prix leur modèle social ne veulent rien faire pour y contribuer. Mais bon, pour certains, comme ce rédacteur du blog The Vast Left Wing Conspiracy, on est prêt à soutenir "le mouvement jusqu'au bout" et "tout autre mouvement social qui suivra : tous les mouvements sociaux de salariés, indépendamment de ce qu'est leur pretexte immédiat (que tout le monde oublie bien rapidement par la suite)". Forcément, quand on n'a pas le même référentiel... Difficile de se comprendre.
En attendant, on peut se retrouver tous une minute autour d'un tube anti-capitaliste :