Les ficelles de l'info (6) : comment l'information payante est pillée par les gratuits

Publié le par Le chafouin

A l'heure où les Etats généraux de la presse, dont il ne faut sans doute pas attendre grand-chose, s'ouvrent à Paris, je voudrais revenir sur la "gratuité" de l'information et prendre un tout petit peu la défense de l'information payante.

On peut en effet être très dur envers les médias français et en particulier la presse écrite, je ne suis d'ailleurs pas le dernier à tenter, comme d'autres, d'établir la longue liste des maux qui la touchent. Ce n'est pas cela dont je voudrais parler aujourd'hui.

A mon sens, Nicolas Sarkozy a raison de vilipender, comme il l'a fait, la gratuité de l'information, qualifiée de "vue de l'esprit" et accusée d'être responsable de "la mort de la presse écrite". Précisons que dans son esprit, il s'agit bien sûr de parler des médias gratuits du type 20 minutes ou Métro, pas de l'information sur internet, qui pourtant n'est pas exempte de critiques.

Les blogs, par exemple, qui se targuent souvent de donner des leçons aux journalistes, doivent garder à l'esprit qu'ils ne font bien souvent - ce n'est pas toujours le cas cependant - qu'exploiter un matériau récolté par les professionnels de la presse payante. Ne l'oublions pas! Car ce matériau a une valeur, qui ne pourra jamais être assumée par la seule publicité...

On pourrait être encore plus agressif envers la presse gratuite (20 minutes) mais aussi les télévisions et les radios. Car elles aussi profitent de ce matériau glané par les seuls efforts de ceux qui financent la presse écrite payante. C'est du dumping ; on ne se bat pas avec les mêmes armes, et en plus, on se fait piquer notre armure! Un peu comme si vous étiez boulanger, et qu'un type confectionnait des baguettes en copiant votre recette, avant de les offrir gratuitement à deux pas de votre boutique. Le tout en vous piquant vos sponsors, séduits par le succès de votre concurrent.

Au fond, non seulement les gratuits vous piquent des ressources financières (publicité), mais en plus, ils pillent le contenu que vous produisez avec des moyens humains sans cesse revus à la baisse!

Car qui ramène l'information que vous rapportent les gratuits, les journaux télévisés de 13 heures, les journaux radiophoniques du matin? Ils ont bien sûr leurs infos exclusives, mais bien souvent, trouvent leur contenu dans la presse écrite payante, pardi!

Vous enragez, quand vous voyez TF1 faire son beurre avec l'information que vous avez glanée grâce à votre réseau d'informateurs patiemment tissé. Hop! Eux, ils débarquent avec leurs caméras, pompent votre travail et ne vous citent même pas ou si peu. Et ensuite, ils sont regardés par plusieurs millions de personnes. Pillage! J'ai un collègue qui a pris la première chaîne en flagrant délit de recopiage de son article, quasiment au mot près. Idem pour France 3 régional, à la différence que la chaîne publique, elle, pratique cette méthode au quotidien...

Vous riez jaune, quand vous écoutez les radios locales reprendre un à un, dans leurs journaux du matin, les titres que vous avez développés dans l'édition du jour. Pillage! Là encore, j'ai dû une fois intervenir auprès d'un "journaliste" d'Europe 2 pour lui dire que s'il recopiait mon article, à la limite, il pouvait peut-être me reverser une petite redevance.

Vous vous étranglez, quand vous voyez que les journaux gratuits diffusent dix fois, vingt fois plus de journaux que vous (et donc vous piquent des ressources publicitaires) en ayant dix fois, vingt fois, trente fois moins d'employés que vous, en ne se donnant souvent la peine que de faire des titres vaguement dôles pour habiller les infos qu'ils vous piquent. Pillage!

Et puis avec l'information en temps réel, vous donnez en plus une chance à certains "gratuits" (télés, radios) de vous doubler sur l'info! Car aujourd'hui, on n'attend plus le lendemain pour donner une info : c'est à qui la donnera en premier sur le web. Nouveau jeu qui, en pratique, amplifie les risques de boulettes ou d'imprécisions si on ne s'en tient pas à une rigueur dans le traitement de l'info. Vous balancez l'info, et ainsi la donnez gratuitement aux journalistes de la télé ou de la radio qui passent leur journée sur votre site en attente de contenu à exploiter. Et hop, ça passe sur le journal du soir, ni vu ni connu...

La conclusion de tout cela, c'est bien sûr que l'information a un coût important qu'il ne faut pas sous-estimer. Il faut arrêter de penser qu'avec deux journalistes, une secrétaire et un vendeur, vous faites un journal ou de l'information. Narvic de Novovision semble penser que si les médias traditionnels venaient à mourir, l'information continuerait son petit bonhomme de chemin : il se trompe lourdement ,à mon humble avis!

Car le jour où la presse écrite payante disparaîtra, elle devra s'en mordre les doigts, bien sûr, tant elle aura laissé passer de trains de réforme interne. Mais les lecteurs-citoyens également : on assistera ensuite à un saupoudrage de l'information, qui sera tellement horizontale qu'on ne saura pas où la chercher mais encore moins qui croire. Pas sûr que la démocratie y gagne au bout du compte!

Publié dans Les ficelles de l'info

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E
C'est sûr que du coup il y aurait quand même un risque que les titres se fassent encore plus racoleur...Soit pour attirer l'oeil dans le distributeur, soit, encore mieux, pour les crier "Rachida Dati dévoile tout sur le père de son Bébé, 2 euros 50 Messieurs Dames..."
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L
@EnzoNous sommes d'accord sur le fait que le canard ne publie que des scoops qui lui sont envoyés clefs en main par des politiques pour nuire à d'autres.@ElyasPas bête cette idée j'y pensais l'autre jour. Les affichettes sur les bureaux de presse jouent le rôle des crieurs (en moins cher...), mais effectivement, ces derniers seraient peut-être plus visibles et audibles. Les distributeurs dans les stations de métro, par exemple, une autre superbe idée! cela existe déjà par exemple au palais de justice de Lille (on se demande pourquoi d'ailleurs), et ça cartonne!Ce serait au moins aussi intelligent que de faire des titres de plus en plus racoleurs pour attirer le chaland...
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E
(Petit problème avec mon post manifestement, je récidive donc)Oui, disons aussi qu'il y aussi une question de praticité d'accès, à mon avis.Ainsi, les gratuits, c'est la facilité : en plus d'être gratuits, ils sont distribués à la volée, là où l'on passe pour aller travailler (bouches de métros, lieu de travail,…). Sans dévier de son trajet et en quelques secondes, on peut ainsi se les procurer ; et ce, alors même que l'on n'y aurait pas forcément pensé.Si la PQR comme les grands nationaux étaient distribués de la même façon, je suis sûr que beaucoup plus de gens les achèteraient. Ainsi, l'idée de « distributeurs automatiques » de journaux me parait une idée fantastique, mais bien évidemment rejetée par les syndicats du Livre et de bureaux de tabac/presse.Mais je crois que la vente à la criée sur les quais de métro va être lancée dans quelques grandes villes. Il sera intéressant de voir l'effet que cela aura sur les ventes, d'autant que les premiers tests s'étaient apparemment montrés concluants.
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E
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E
l'affaire Mazarine a été sortie par Minute en 1988 et le passé collabo de Marchais dès 1973 (soit des années avant l'Express). Mais je parle de pillages bien plus récents que MinuteOn ne peut pas comparer Minute et le Canard, car tous les "scoops" du Canard sont repris par la grande presse qui cite bien que l'info vient du Canard (d'où pub) et de plus, ce ne sont pas des scoops, fruits d'une enquêtes, mais des infos remises clés en main par les officines du pouvoir.
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