Bertrand Cantat, je vous aime mais vous préfère en prison
Mon cher Bertrand,
Voilà plusieurs semaines que l'on évoque la possibilité de ta libération conditionnelle. Après quatre ans de prison, j'imagine que tu attends cette décision avec impatience, puisque c'est aujourd'hui que le juge d'application des peines examine la demande que ton avocat a déposée en ce sens. J'imagine aussi le sentiment qui peut habiter les tiens, tes proches, ta famille, tes enfants, tes amis. Tes copains de Noir Désir.
Et puis tes fans. Ils t'ont défendu, tu sais, avec la mauvaise foi de celui qui est juge et partie. Lorsque ce beau matin de l'été 2003, ils ont entendu la nouvelle de la mort de Marie Trintignant, qu'ils ont su que tu n'y étais pas étranger, ils se sont sentis bien effondrés. Il a fallu du temps pour les convaincre que c'était bien toi, Bertrand, qui avait saccagé deux vies en quelques instants. La sienne, et puis la tienne, aussi.
Tu étais alors au faîte de ton art, après un dernier album somptueux, Des visages Des figures. Ton écriture et ta musique atteignaient un niveau inégalé en France. Enfin. La preuve était faite que le bon rock n'était pas réservé aux anglophones. Tu peux imaginer la déception, notre déception. Plus jamais de concerts déjantés. Plus d'écorchés, de tostaky, de des armes.
Bien sûr, tu en as bavé pendant toutes ces années. Reconnu coupable non de meurtre - comme s'évertue à le soutenir la mère de Marie Trintignant, que la douleur a égaré au point d'en faire un coup commercial - mais de coups violents ayant entraîné la mort sans intention de la donner, tu as été condamné à Vilnius (Lituanie) à huit ans de prison. Un an pus tard, en septembre 2004,tu regagnais la France et la prison de Muret, en Haute-Garonne. Tu n'as guère été épargné par les médias, qui ont trouvé dans la fin tragique de votre histoire, à Marie et à toi, de quoi remplir des pages sans se fatiguer. Le fait-divers de l'été, quoi.
Mais tu as bénéficié de la clémence de la justice et de permissions de sortie, à Noël dernier, ou plus récemment, à la mi-juillet. J'imagine que c'est par amour pour la femme que tu as tué malgré toi, par respect pour sa mémoire, que tu as observé une attitude de détenu modèle. Et aujourd'hui, elle plaide en ta faveur, alors que la loi t'autorise, à mi-peine, à demander une libération anticipée. Sans compter que tu as règlé l'intégralité des dommages-intérêts réclamés par deux des enfants de Marie.
Mais même lorsqu'on espère plus que tout que la Justice t'entende, même lorsqu'on attend plus que tout autre de te revoir sur scène, comment ne pas comprendre Nadine Trintignant, lorsque celle-ci estime craindre que cette"libération très anticipée n'apparaisse comme tristement significative pour tous ceux qui luttent pour que soient enfin justement sanctionnées les violences faites aux femmes"? Bien sûr, la récidive n'est pas à craindre. Mais même si la loi est avec toi, le symbole de ton élargissement serait terriblement négatif. Pour la Justice de ce pays, pour les autres détenus, pour les victimes. Et toi, pourras-tu te regarder dans une glace, si dans un mois, lorsque le juge rendra sa décision, ton voeu est exaucé? Pourras-tu repartir chez toi, avec le sentiment que la Justice a été respectée? Pourras-tu te sentir clean pour te présenter à nouveau devant ton public?
Pour les écorchés vifs, on en a des sévices. Bertrand Cantat, je vous aime mais vous préfère en prison jusqu'au terme de votre peine.